Lilli Heiner (extraits) - Juin 2015



C’est une année particulière qui a marqué cette saison 2015 l’Option Théâtre puisqu’une partie de notre travail s’est axée autour du théâtre d’objet avec comme point d’orgue l’accueil d’une compagnie en résidence pendant une semaine : La Bande passante. Expérience passionnante qui a donné lieu à la création de trois formes théâtrales et à leur présentation devant un public le 6 mars, au Canopé.

Dans le prolongement de cette thématique autour de l’animation de l’objet, j’ai eu envie de proposer aux élèves des textes qui traitaient de la problématique inverse : partir du corps vivant devenu objet. Objet de manipulation, d’expérimentation, de monstruosité ou d’abandon. C’est ainsi que la pièce lauréate du Prix Godot 2014, Lilli Heiner s’est progressivement imposée. Lilli traite du dopage massif des jeunes femmes sportives sous la Guerre froide afin de montrer à la face du monde la suprématie de l’Allemagne de l’Est. 

Mais au-delà du sujet de la pièce et de son ancrage historique, c’est l’énergie de la langue qui nous a plu, les élèves et moi, la polyphonie du texte comme symptôme d’une aliénation, comme la manifestation de ce nouvel être qui se loge en Lilli pour en faire éclore un autre, une nouvelle identité. Celle d’un homme. 

Enfin, ce thème de la transformation du corps, plus largement, est une problématique typiquement adolescente. C’est sans doute pour cette raison que les élèves de Secondes se sont emparés avec tant de facilité de ce texte magnifique et pourtant étrange, à la fois poétique et métaphorique. 

Quant au groupe des Premières et des Terminales, les textes ont été choisis au gré des coups de coeur des élèves, au cours de nos sorties théâtrales et qui rejoignent de près la thématique du corps en souffrance ou du corps-objet. Ainsi, vous (re-)découvrirez des extraits du Petit Eyolf d’Isben, de Notre Peur de n'être de Fabrice Murgia, de Mum’art, de Jean-Michel Ribes, ou de Res-persona et de Fées de Ronan Chéneau. 

Le travail que vous allez voir est une restitution de travaux de l’année, que nous sommes heureux de vous présenter dans notre salle du dojo, nouvellement équipée et pouvant enfin accueillir un public ! 

En vous souhaitant un joli moment et en vous remerciant de votre présence, 

Stéphanie Robledo

(Extrait du fascicule distribué les jours de représentations)

Lilli Heiner (Secondes)

Avec Lucie Villedieu, Coline Martin, Inès Legrand, Raphael Deshogues, Solenne Finot, Iseult Bonneté, Paul Génon, Hugo Soupizet, Clémence Hervieu, Estelle Maskowytzch, Manon Frémont, Irène Prigent, Kim Mauger,


Corps déviant, objet d’art ou d’abandon (Premières et Terminales)

Avec Louise Marchand, Clara Dudant, Eléna Guezenec, Gabin Santamaria, Charlotte Lesueur, Joséphine Godefroid, Pauline Ranchin, Ariane Brunet, Juliette Pannier, Isaure Calvy, Clémence Pattelli, Amine Amiour, Julie Philippe


EXTRAITS de Lilli Heiner  


DANS LES ANNEES 50 LES PRATIQUES DE DOPAGE EXISTAIENT DEJA EN RDA 

JUSQU'A DEVENIR PEU A PEU UN FONCTIONNEMENT SYSTEMATIQUE 

ORGANISE PAR L 'ETAT.

LES ELEMENTS LES PLUS GRAVES DU DOSSIER ONT ETE LES TRICHERIES ORGANISEES A L'INSU DES SPORTIFS / 

L’ABSENCE DE CONSENTEMENT ET LE NON RESPECT DES SPORTIFS MINEURS /

UN OUTRAGE SCANDALEUX CONTRE LES DROITS DE L’HOMME

L’EFFICACITE DU SYSTEME SE REVELA ETONNANTE DANS LES DISCIPLINES FEMININES OU L’EFFET DE VIRILISATION PAR LE DOPAGE AUX HORMONES MASCULINES ETAIT PARTICULIEREMENT PROBANT / 

LES SPORTIFS DE LA RDA GAGNERENT PLUS DE 200 MEDAILLES /

NOUS avons 15 ans 

Lilli a 15 ans

LILLI/HEINER HANDKE EST UN CAS EXEMPLAIRE DES

DISFONCTIONNEMENTS DANS LE SPORT DE HAUT NIVEAU


Premier tableau : Naissance des Monstres


Meine baby

On dit bébé ça ne veut pas dire fille ça ne veut pas dire garçon

Juste un état une façon d’englober

un mot asexué moins embarrassant un rêve d’hermaphrodite

à lui balancer doucement

pour lui promettre l’amour

homme ou femme


ça me rappelle étrangement le jour de ma naissance

la lumière du plafonnier sixties au dessus des cuisses de ma mère

t’auras beau muer avoir de l’acné

faire des gosses me pousser vers la sortie

t’émanciper tu reviendras toujours vers moi

ta dernière pensée sera pour moi


L'origine de tout le big bang la fin de tout

la faute de la mère est toujours si grande

J'ai rien demandé

tout ça c’est de ma faute

Je t’ai déjà raconté ce rêve étrange

Maman

Une mère désire forcément le meilleur pour son enfant


Moi j’ai rêvé d’un aigle à deux têtes…

ton père il y est bien pour quelque chose

ma mère disait ça déjà

qui racontait ces histoires de foires de phénomènes monstres à deux têtes

cochons à trois pattes cyclopes des mers

un médecin ça m'avait impressionné

dans les sous-terrains il travaillait dans le quartier des anges

des expériences... tu sais ce que c’est les anges


des enfants avec un troisième oeil

des excroissances comme des citrouilles

des têtes grosses comme ça

des trous à la place des oreilles

des enfants sans jambes pour apprendre à ramper à nouveau

il y a les monstres que la nature fabrique et les autres...

les mères on leur disait pas viables ils reposent en paix au quartier des anges

ils reposent en paix dans le formol


on désire le meilleur pour ses enfants

mais pour ça il ne faudrait pas qu’ils sortent

qu’ils restent bien au chaud

qu’ils sucent leurs pouces en écoutant Mozart

qu’ils rêvent à un avenir meilleur


Je veux sortir de toi voyager barouder

il parait qu’un monde existe en grand

le monde n’existe pas en grand

le monde n’existe plus en grand

on est emmuré vivant

intra muros Berlin Est

On espère le meilleur pour ses enfants

Maman tu l’as dit cent fois


Les enfants

qui courent dans les ruines

les enfants

qui cherchent leurs maisons

chambres salle de bains wc toits eventrés éclats bombardés

les enfants

QUI JOUENT AVEC LES BRAISES

les enfants

DONT LES PETITS SOLDATS SONT MORTS

on n’aurait pas dû faire ça


C’est venu d’un coup comme une sortie de route d’enfance

Je me demandais qui parlait à ma place

Pourtant maman disait quand j’étais petite

une vrai couinarde

Haut perché dans les aigus

C’est ça le problème avec les filles

C’est perçant strident ça écorche les tympas

vh.option.theatre@gmail.com   © stephanie robledo 2014